mardi 10 mars 2009


Alexandre BRAILOVSKI

MERCI DE VOTRE ATTENTION !


J’aimerais prendre comme épigraphe encore une fois les vers de Tiutchev :
Il ne nous est pas donné de prévoir
Comment notre parole sera perçue…
Bien évidemment, j’ai attendu des réactions à mon essai « Le Pays des puces ferrées », j’ai même prévu que les réactions négatives seraient majoritaires, mais je ne m’attendais tout de même pas à un niveau aussi bas de la « discussion »…
Cependant, je voudrais y ajouter quelques mots. Tout d’abord, j’aimerais remercier tous ceux qui l’ont lu avec attention. Je remercie Youri Kirpitchev qui, dans sa critique l’a qualifiée « d’objectivité dégoûtante ». Il est vrai que j’ai essayé d’être objectif, et il est également vrai que cette objectivité ne fait plaisir à personne, y compris à moi-même. Je remercie surtout Valériy Lébédev qui a été le seul à oser publier mon essai dans son almanach, tout en le traitant de « russophobe » et même « un peu raciste ». La majorité des lecteurs pensent de même.
Je crois qu’il y a un malentendu avec l’emploi de certains mots.
« Le racisme est une idéologie qui postule une hiérarchie entre les êtres humains selon leur origine ethnique, désignée sous le terme de race. Plus généralement, le racisme désigne la croyance que de prétendues propriétés biologiques innées, attribuées à des groupes sociaux, conditionnent inévitablement l'accomplissement culturel et individuel. Le terme racisme peut également désigner une attitude de critique ou d'hostilité systématique envers l'ensemble d'un ou de plusieurs groupes ethniques déterminés. » (Wikipédia).
Cela ne me concerne absolument pas.
Je suis juif, je sais ce que c’est que l’antisémitisme, et rien que pour cela il est inadmissible pour moi de traiter les gens en fonction de leur couleur de peau ou de leur origine ethnique. Je suis incapable d’aimer ou de haïr quelqu’un parce qu’il est Russe, Français, Juif, Arabe, ou Géorgien. J’ai grandi à Tbilissi, où, dans une proximité qui ressemblait fort à une promiscuité, s’élevaient une cathédrale orthodoxe, deux synagogues, une mosquée et une église grégorienne, et où il n’y avait jamais (jusqu’à l’arrivé au pouvoir de Zviad Gamsakhourdia, en 1991) aucun conflit ethnique ou religieux. Mes meilleurs amis d’enfance et de jeunesse étaient, et restent toujours, des Géorgiens, des Arméniens et des Russes. M’accuser de racisme est aussi absurde que de traiter d’antisémite tous ceux qui n’approuvent pas la politique de l’Etat d’Israël.
Quant à la russophobie, c’est plus compliqué. Encore Wikipédia : « La russophobie est une aversion, une crainte, voire une attitude hostile envers la culture russe, les Russes, leur identité ou leurs coutumes, ou encore envers la langue russe, également décrites comme sentiments anti-russes. Le terme est employé dans deux contextes de base : dans des conflits ethniques avec la participation des Russes (citoyens de la Fédération de Russie ou de nationalité [ethnie] russe), et dans la politique internationale…« Russophobe » est un adjectif employé pour dénoter les sentiments anti-Russes, le plus souvent dans la politique et la littérature. »
Je n’ai strictement rien contre la culture russe, surtout pas contre la langue russe qui est ma langue maternelle et celle de ma pensée. Ceci dit, « Le Pays des puces ferrées » est l’expression même des sentiments anti-Russes… et donc, je suis, effectivement, un russophobe.
Je n’ai pas lu tous les échos suscités par mon essai : ils étaient trop nombreux. D’après ce que j’ai lu, j’ai pu constater que rares sont ceux qui ont compris que mon essai a été écrit avec de la peine et de la colère. Et c’est vrai. Car beaucoup de mes proches, beaucoup de gens que j’aime, habitent en Russie, et je ne veux qu’une seule chose : qu’ils vivent bien, eux et tous les autres habitants de ce pays. La façon dont on vit dans ce pays ne me laisse pas du tout indifférent. J’ai fait mon choix, je l’ai quitté, mais ce fait-là ne me prive absolument pas du droit d’exprimer mon opinion. Je ne suis pas d’accord avec mes adversaires qui refusent à mon article tout aspect positif : il y est bien dit qu’un bon diagnostic est le premier pas vers la guérison. Encore faut-il que le malade veuille admettre ce diagnostic et commencer le traitement… En tout cas, si on continue de penser que tout en Russie est, et a toujours été bien et juste, que le peuple russe n’a jamais fait de mal à personne, ni à lui-même, il n’y aura pas l’espoir d’une amélioration.
Ceux qui n’ont pas aimé mon essai, me traitent de tous les noms, dont « russophobe » est encore le plus gentil. Cependant, aucun de mes détracteurs ne me contrarie sur le fond. Monsieur Lébédev lui-même n’est pas d’accord quand j’écris qu’Hitler avait été élu démocratiquement. En effet, il a été nommé chancelier par le président allemand Hindenburg, mais cette nomination n’a tout de même pas été un coup d’état. Et puis, après la mort de Hindenburg, en 1934, il y a eu un plébiscite en Allemagne, et Hitler a été élu avec 86% de voix. Le même M. Lébédev a souligné que l’ « Oukaz (ordonnance) de la liberté de la noblesse » qui abolissait les châtiments corporels pour les nobles Russes, était préparé non pas par Catherine II, mais par son époux Pierre III, et Catherine n’a fait que le promulguer… mais il reconnaît lui-même que mon erreur n’est pas très importante. Quelqu’un d’autre n’est pas d’accord avec moi quand je prétends qu’il n’y a pas d’autres cimetières semblables à celui de Sainte-Geneviève-des-Bois, en région Parisienne, où sont enterrés environ 10 000 émigrés Russes, forcés de quitter leur patrie pour ne pas y être assassinés, - mais on ne cite aucun exemple. Et c’est à peu près tout. Mais tout cela ne change strictement RIEN dans mon analyse de la situation. Et si les faits sont en général exacts, la conclusion, hélas, l’est aussi.
Pour la plupart de mes adversaires et détracteurs, il est extrêmement important que je sois Juif et que j’ai quitté la Russie. Et alors ? Qu’est-ce que cela change dans la logique de mes réflexions ? Est-ce qu’une vérité exprimée par un émigré d’origine juive n’en est plus une ? C’est exactement comme ça que l’on pensait à l’époque soviétique. Je me rappelle que le KGB (« Komitet Gosoudarstvennoï Bézopasnosti » = « Comité de la Sûreté de l’Etat »), lorsqu’il voulait discréditer Alexandre Soljenitsyn (auteur de « L’Archipel de Goulag ») dans l’opinion publique, faisait courir le bruit que le vrai nom de l’écrivain était SoljeniTSER – cela sonnait juif, et c’était assez pour qu’un auteur portant un tel nom, n’inspire pas trop confiance au peuple russe...
A l’époque soviétique aussi, un célèbre humoriste Mikhaïl Jvanetzki (un vrai Juif, celui-là, pas comme Soljenitsyn !) s’est bien moqué de la façon spécifique, très répandue en URSS, de discuter : « …Il ne faut surtout pas écouter son interlocuteur. Il faut le jauger. Au moment le plus fort de la discussion, il faut lui demander ses papiers. Passer nonchalamment au tutoiement : « Et ça, ce ne sont pas tes putains d’oignons ! », et vous verrez : votre interlocuteur s’adoucira à vue d’œil ! »
Force est de constater que cette façon de discuter est toujours d’actualité chez les patriotes Russes. « Braïlovski » sonne trop juif pour eux. En plus, il s’agit d’un émigré qui a foutu le camp et s’est installé en France. Mais si l’essai « Le Pays des puces ferrées » était signé par un certain Ivan Petrovitch Sidorov (plus russe que ça, tu meurs!), prof de langue et de lettres russes, habitant de la bonne ville russe de Voronej, que diraient alors les défenseurs de la Russie ?
Mes amis Français à qui je parle de mon article et des réactions qu’il a suscitées, n’arrivent pas à comprendre pourquoi mes origines ethniques et le lieu de ma résidence énervent tellement mes lecteurs, et quelle importance ces choses-là peuvent-elles avoir lors d’une discussion ? Ils prétendent que, si j’avais écrit un essai semblable sur la France et sur le peuple Français, soit on serait d’accord, soit on me contredirait en fonction de mes arguments, et non pas en fonction de quelques autres circonstances. Donc, j’arrive à la conclusion que c’est tout de même une façon de discuter spécifiquement russe, que de ne pas écouter celui qui parle, mais de s’intéresser plutôt à ses origines ethniques. Mais si les Russes suivaient cette logique jusqu’au bout, ils n’auraient plus le droit de lire les poèmes de l’Africain Pouchkine (dont l’un des ancêtres était un Noir de l’Afrique acheté par Pierre Le Grand), ni ceux de l’Hispano-Ecossais Lermontov, ni consulter le Grand Dictionnaire de la Langue Russe vivante créé par le Danois Vladimir Dal ! Parce que tous ces gens, et beaucoup d’autres parmi ceux qui ont créé la culture russe, avaient des ancêtres étrangers…
Je n’ai jamais rencontré quelqu’un disant : « On m’a viré parce que je ne suis pas compétent, parce que je suis stupide et grossier, parce que je ne sais pas entretenir de bonnes relations avec mes collègues. » D’habitude on entend les gens dire ceci : « On m’a viré parce que je suis Juif (Arabe, Noir, émigré, Russe, - souligner ce qui vous concerne), et ils n’aiment pas ça… » Oui, le racisme existe. Mais il n’est pas toujours en cause. Quand vous êtes incompétent – c’est votre faute. Par contre, ce n’est pas votre faute si vous êtes Juif ou Noir. Comme ça, on ne peut pas se mettre personnellement en question. Mais celui qui ne se met jamais en question, ne verra aucune amélioration de son sort. Tout simplement parce qu’il restera toujours Juif, Noir ou Russe, s’il est né comme ça, et cela est « incurable ». Contrairement à l’incompétence, l’ignorance et la mauvaise éducation, car tout cela est surmontable, à condition que l’on veuille faire des efforts.
Apparemment, mes détracteurs sont persuadés que s’ils me traitent de russophobe, cela les dispense de m’écouter. (« Est-ce que l’on pourrait s’intéresser à l’avis de quelqu’un qui a un tel nez, comme ça ? » : encore Mikhaïl Jvanetzki.) Et là, Youri Kirpitchev a sûrement raison : comme les Juifs prennent souvent n’importe quelle critique pour de l’antisémitisme, les Russes la déclare l’expression de russophobie, ce qui les dispense de réagir et de changer quoi que se soit dans leur mode de vie. En effet, si l’auteur de l’article est russophobe, donc, tout ce qu’il écrit n’est pas autre chose qu’une méchante calomnie et un mensonge malintentionné.
Je pourrais, peut être, leur répondre ainsi : mes honorables (et pas trop) adversaires, si vous préférez voir dans mon essai la calomnie et le mensonge, je vous en prie, allez-y ! Tout ce que j’ai écrit sur la Russie, j’ai tout inventé, inspiré par la méchanceté russophobe. Alors qu’en réalité, la Russie est un pays magnifique. Ses citoyens s’aiment et se respectent mutuellement. Ils sont tous très bien élevés. La vie et la dignité de la personne humaine y sont appréciées par-dessus tout. Il n’y a pas eu de Goulag. Les Russes ont gagné la guerre contre les Allemands grâce à leur savoir-faire, et non pas au prix de pertes humaines monstrueuses et inutiles. Les gens travaillent honnêtement et consciencieusement, produisant les denrées de première qualité ce qui rend jaloux tous les autres peuples qui se les arrachent les uns aux autres. Tous les gens civilisés de la planète ne rêvent que de s’installer en Russie. Les lois russes qui sont justes, sont bien gardées par la police sans peur et sans reproche et par les magistrats incorruptibles, faisant peur aux criminels et respectés par tous les honnêtes gens. Enfin, le peuple russe déteste les tyrans. Et ainsi de suite.

Mais que faire alors d’autres types de réactions, où mes lecteurs qui ne sont ni Juifs, ni émigrés, ni russophobes, disent avec beaucoup d’amertume, qu’ils reconnaissent leur pays, soi-disant calomnié dans mon article, le pays où ils habitent toujours, eux. Que ça leur a fait mal de le lire, mais force leur est de constater qu’il y a beaucoup de vérité dans ce que j’ai écrit. Je crois que ces gens-là sont tout simplement les patriotes- les vrais- qui aiment leur pays et qui ont de la peine parce que dans ce pays il y a beaucoup à refaire. « Je me fous de ce que Gagarine, un Russe, était le premier homme dans l’espace, si les babouchkas Russes n’ont rien à bouffer, avec leur pension de retraite ridicule ! » - a écrit l’un d’eux en réponse à un autre qui glorifie la surpuissance russe.
Parce que aimer sa patrie n’est pas du tout casser la figure et faire fermer la gueule à tous ceux qui osent la critiquer. Cette façon d’agir est la plus simple et la plus nuisible pour cette même patrie. Aimer sa patrie, c’est essayer de l’améliorer et de la rendre le moins critiquable possible. C’est faire en sorte que ses habitants et citoyens y vivent heureux, qu’ils n’y soient pas arnaqués, humiliés ou assassinés, et que ce ne soit que des voyous et des minables qui aient envie de foutre le camp de ce pays… Et faire cela est autrement plus difficile que de déclarer comme voyous et minables tous ceux qui n’ont pas envie d’y vivre, pour les raisons mentionnées ci-dessus.
On a l’habitude, en Russie, de comparer l’amour pour la patrie avec l’amour pour sa mère : on ne choisit pas sa mère, on l’aime telle qu’elle est. Je dirais, moi, que l’amour de la patrie est plutôt comparable a celui de son enfant : Quand on aime son enfant, on essaie de lui donner une bonne éducation, en lui expliquant ce qui est bien et ce qui est mal, afin qu’il devienne quelqu’un de bien. Il n’y a que des parents stupides et irresponsables qui laissent leur enfant faire n’importe quoi et l’admirent quoi qu’il fasse. Et quand bien même on compare la patrie avec la mère, admettons que celui qui n’a pas eu de chance et dont la mère est alcoolique et débauchée, l’aimera malgré tout parce que c’est sa mère. Mais il est peut probable qu’il se vante de son ivrognerie et de ses débauches : s’il est un bon fils, il essayera plutôt de la faire soigner.
Tout cela ne sont que des lapalissades, des clichés. Et justement, beaucoup de mes adversaires ne voient dans mon article qu’un amas de clichés. J’aurais pu leur rétorquer que tout ce qu’ils citent comme la preuve de magnificence de la Russie – l’exploitation de l’espace, la fameuse spiritualité russe et la victoire sur le nazisme (je précise : sur le nazisme allemand, car leur propre nazisme, les Russes ne l’ont pas encore vaincu), n’est rien d’autre qu’un amas de clichés aussi.
Mais enfin, les dix commandements ne sont-ils pas qu’un amas de clichés, et ils le sont devenus même avant la venue de Jésus Christ. Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut plus en parler ?

Aucun commentaire: